De Gaza à Montréal: une nouvelle génération de mouvements montre que la radicalité peut redevenir une force populaire.

Pendant des années, la gauche a confondu le désir de changement avec l’illusion qu’il suffisait d’occuper les institutions ou de gérer avec bonne volonté l’ordre existant. Cette naïveté stratégique —déguisée en pragmatisme— a affaibli les projets, démobilisé les bases et ouvert la voie à la réaction conservatrice.

Pourtant, en cette période de crise mondiale, une nouvelle gauche réapparaît avec force, des rues de Santiago et de New York jusqu’aux campus de Montréal. Une gauche qui n’a plus peur de nommer le conflit ni de dénoncer le vrai pouvoir caché derrière les démocraties néolibérales.

Du Bronx à Mile-End: la radicalité qui s’adresse de nouveau au peuple

À New York, Zohran Mamdani incarne cette nouvelle politique. Fils d’immigrants et ouvertement socialiste, il a transformé un discours radical sur le logement, la dette et la dignité en un mouvement de masse. Son succès ne réside pas dans la modération, mais dans la clarté: « La politique n’est pas de la charité. C’est du pouvoir populaire organisé ».

Et cette clarté commence aussi à résonner au Canada. À Montréal, Toronto et Vancouver, une génération de militants — climatiques, anticoloniaux, féministes, pro-palestiniens — redéfinit la politique depuis la base. On les voit dans les rues, dans les grèves universitaires, dans les occupations de logements et dans les campements réclamant la fin du génocide à Gaza.

Ces espaces ont redonné quelque chose que la gauche institutionnelle avait perdu : la légitimité morale. Alors que les gouvernements se taisent face aux crimes de guerre, des milliers de jeunes, syndicats, rabbins antisionistes, communautés musulmanes et juives progressistes construisent une solidarité radicale qui n’a pas besoin de permission.

Québec: l’école de l’insoumission

Le Québec a historiquement été un laboratoire de cette radicalité. En 2012, le printemps érable —la plus grande mobilisation étudiante du continent— a démontré que la désobéissance massive peut changer les gouvernements et faire reculer les politiques néolibérales. Plus d’une décennie plus tard, cet héritage persiste dans les mouvements pour le logement, les transports publics, la justice climatique et la dénonciation du génocide en Palestine.

Les récentes grèves du Common Front et de la FAE reprennent cette tradition de résistance collective. Ce sont des mouvements qui ne se limitent pas à négocier des salaires : ils mettent sur la table l’idée que les services publics sont un bien commun, pas une marchandise. Dans un pays où le pouvoir économique est concentré entre les mains des corporations extractives et financières, cette lutte syndicale prend un contenu ouvertement politique. De même, les manifestations récentes à Montréal ont formé une nouvelle génération d’activistes impliqués dans les mouvements anticoloniaux.

La radicalité n’est pas violence: c’est cohérence

Le mot « radical » a été diabolisé. Il est associé au dogmatisme ou à l’extrémisme, alors qu’il signifie en réalité aller à la racine. Les mouvements qui inspirent aujourd’hui le respect — de Idle No More à Land Back, Wet’suwet’en Strong ou Palestine Vivra — ne le font pas parce qu’ils sont modérés, mais parce qu’ils sont cohérents.

Ils revendiquent l’évidence: terre, eau, vie. Et ils le font en affrontant à la fois le capital extractiviste et le racisme systémique de l’État canadien.

Cette cohérence relie des luttes apparemment différentes: les communautés autochtones qui défendent leurs territoires, les étudiants qui exigent une éducation gratuite, les familles sans-abri qui occupent des bâtiments vacants, les mères palestiniennes qui pleurent leurs enfants et les Québécoises qui descendent dans la rue avec leurs noms sur des pancartes. Toutes partagent la même certitude : il n’y a pas de justice sans conflit, ni de paix sans dignité.

Regarder vers le sud: quand la gauche gouvernait sans se rendre

Le monde offre des exemples récents de cette radicalité réussie. Podemos en Espagne, né du mouvement du 15M, est passé en quelques mois des places au gouvernement, en promouvant des politiques d’égalité et de justice sociale. En Colombie, Gustavo Petro est arrivé au pouvoir en parlant de démilitariser la politique et de redistribuer les richesses. Au Chili, Gabriel Boric a émergé des protestations étudiantes avec un projet féministe et écologique.

Tous ont montré qu’il est possible d’être de gauche, de gagner des élections et de parler clairement. La radicalité n’effraie pas, elle attire, lorsqu’elle s’exprime dans une logique d’espoir et de majorité sociale.

Une leçon pour la gauche canadienne

Le Canada n’échappe pas au malaise mondial. Les coûts du logement, les inégalités, la crise climatique et le racisme structurel exposent la fragilité du modèle néolibéral canadien. Mais face à ce scénario, la gauche institutionnelle semble paralysée, plus préoccupée à ne pas déranger qu’à inspirer, devenant parfois partie du problème plutôt que solution pour la majorité.

Pendant ce temps, les mouvements sociaux de base accomplissent le travail: créant des réseaux de solidarité entre travailleurs migrants, étudiants, communautés autochtones et collectifs anticoloniaux. Leur discours — courageux, honnête, solidaire — pourrait être la graine d’une nouvelle hégémonie progressiste s’il parvient à s’articuler politiquement.

Parce que le pouvoir ne se « gère » pas: il se conquiert, s’exerce et se défend. La neutralité ne sert que les puissants. Et en temps de génocide, d’inégalités et de catastrophe climatique, la tiédeur est complicité.

Le pouvoir de nommer ce que les autres taisent

La gauche du XXIᵉ siècle a devant elle une disjonction: continuer à gérer le déclin, ou oser reconstruire une politique qui parle à nouveau au nom des majorités.

La radicalité n’est pas une tranchée, c’est une boussole. Cela signifie nommer l’injustice, construire du lien social et défier la peur.

Des barricades de 2012 aux campements pour Gaza en 2024, le Québec et le Canada nous rappellent que la dignité ne se négocie pas: elle s’organise.

Bio de l’auteur:
Manuel Tapial est activiste social et chercheur sur les mouvements populaires et la justice internationale. Il vit à Montréal et collabore avec des plateformes d’analyse politique et de défense des droits humains, avec un accent particulier sur la solidarité internationale et les droits des peuples marginalisés.