Nous voyons les images qui nous parviennent d’Europe et nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver une certaine envie depuis le Québec et le reste du Canada. Dans presque toutes les villes européennes, les manifestations sont massives: des milliers de personnes dans les rues, parmi elles des députés et députées de différents groupes progressistes qui marchent aux côtés du peuple en criant «ça suffit!». La Palestine a accompli quelque chose d’exceptionnel: unir la politique institutionnelle et la rue. Les partis politiques eux-mêmes sont devenus des moteurs de mobilisation, appelant leurs bases à manifester contre le génocide et faisant de cette cause un drapeau moral de leur propre identité.

Et au Québec? Et au Canada? Ici, la majorité de celles et ceux qui ont occupé les rues ces deux dernières années l’ont fait sans aucun soutien institutionnel. Parfois ignorés, parfois dénigrés, presque toujours observés avec méfiance. La diversité qui caractérise ces mobilisations — femmes portant le hijab, familles entières, jeunes avec des keffiehs palestiniens réclamant justice — semble avoir été, paradoxalement, l’une des raisons de cet abandon. Une partie de la classe politique a préféré détourner le regard, par calcul ou par lâcheté, craignant de heurter un électorat façonné par la peur et la désinformation.

Le NPD et Québec Solidaire — les deux formations dotées d’une représentation institutionnelle qui, en théorie, auraient dû porter et amplifier ce cri populaire — l’ont fait tardivement, timidement ou se sont tout simplement absentées. Ce vide a été exploité par les forces réactionnaires, qui ont intensifié leur agenda xénophobe et islamophobe, étendant leur guerre culturelle vers des positions ouvertement trumpistes.

Il n’est pas anodin que, lorsque nous regardons depuis le Québec ou le Canada des représentants élus diriger des manifestations ou des actions de solidarité avec la Palestine, il faille tourner les yeux vers l’Europe: vers la Palestinienne Rima Hassan, de La France insoumise; vers Ione Belarra et Irene Montero, de Podemos; vers Benedetta Scuderi, du Parti social-démocrate italien; et vers tant d’autres figures politiques qui, sans hésiter, se sont mises en première ligne.

Il semble qu’en Europe, on ait compris l’ampleur de ce qui se joue à Gaza — non seulement à cause du génocide en cours, mais aussi en raison de la manière dont ce génocide façonne l’avenir de nos sociétés à court et moyen terme. Et certains ont choisi d’agir, construisant une résistance radicale face au monde que les puissants cherchent à façonner.

De la piste cyclable à la rupture de l’échiquier: la Palestine est devenue la cause de l’humanité. C’est ainsi que des millions de jeunes à travers le monde la perçoivent, eux qui, par leur activisme, risquent leur vie et leur carrière pour pousser leurs gouvernements à prendre position.

Pendant que les personnes les plus engagées s’organisent au sein de communautés militantes — de plus en plus éloignées de partis politiques qui ne les représentent plus, tant au Québec qu’au Canada —, nous observons la trivialité avec laquelle les élus vivent leurs vies: distribuant des discours préfabriqués, répétés par des conseillers qui ne disent rien et n’inspirent rien.

Tout cela pendant que, ici même, on refuse l’accès aux soins aux réfugiés palestiniens; on persécute des personnes pour leur foi ; on suspend les visas de réunification familiale pour les Palestiniens de Gaza vivant sur notre territoire ; et on promeut des lois qui restreignent les libertés fondamentales.

En ces temps, il convient de se rappeler — comme le soulignait Peter Weiss dans L’Esthétique de la résistance — que ce n’est qu’en distinguant le trivial du transformateur que nous pourrons conserver la dignité de regarder le monde sans baisser la tête.