Le fascisme ne se présente pas toujours avec des uniformes ni des défilés. Dans les sociétés démocratiques contemporaines, il peut avancer sous le déguisement du civisme, de la modération ou du patriotisme. Au Québec, ce processus prend une forme particulièrement subtile : un nationalisme qui, sous prétexte de protéger la paix sociale, délimite qui appartient au « nous » et qui en est exclu. Il ne s’agit pas d’un fascisme déclaré, mais d’une dérive culturelle qui combine exclusion symbolique, peur du conflit et discours moralisateur qui délégitime la dissidence.

L’exemple le plus frappant de cette tendance apparaît dans les récents appels « pour la paix » à Montréal, où les manifestations de solidarité avec la Palestine sont condamnées. Dans ces textes, la protestation sociale est décrite comme une importation de « haine » et de « division » venues de l’extérieur, tandis qu’une prétendue « paix » — en réalité synonyme de silence et d’obéissance — est valorisée. La rhétorique est trompeusement simple : ceux qui soutiennent le statu quo sont les « citoyens de paix », tandis que ceux qui manifestent sont décrits comme violents, provocateurs ou antisémites.

Ce langage d’apparente neutralité remplit une fonction politique précise : transformer le conflit légitime en menace et la solidarité en soupçon. La critique de l’État d’Israël est délibérément confondue avec l’antisémitisme, effaçant les distinctions entre un État, une idéologie (le sionisme) et une communauté religieuse ou culturelle (le judaïsme). En conséquence, on retire toute légitimité à des milliers de citoyens — juifs antisionistes, Québécois non juifs, Arabes et féministes — qui protestent pacifiquement pour la fin du génocide à Gaza.

Derrière cette opération discursive se cache un mécanisme de violence symbolique : l’usage du langage moral pour protéger le pouvoir de la critique. Le texte « pour la paix » ne dénonce ni la violence structurelle ni la souffrance palestinienne ; il dénonce l’inconfort que provoque la visibilité de cette violence dans nos rues. Il mobilise la peur et le désir de normalité pour rendre suspect tout geste d’indignation. Ainsi, la défense des droits humains devient un acte « perturbateur », tandis que l’indifférence se pare de vertu.

Cette inversion morale est caractéristique de l’autoritarisme doux. Le pouvoir — politique, médiatique ou symbolique — se présente comme victime du désordre, tandis que les citoyens critiques sont transformés en agresseurs. On invoque la « paix » pour réprimer la parole, et le « respect » pour censurer la solidarité. Au nom de la coexistence, on nie la possibilité d’un véritable débat. Le résultat n’est pas l’harmonie, mais un consensus imposé, soutenu par la peur d’être étiqueté comme extrémiste ou antisémite.

Dans ce contexte, le nationalisme québécois risque de devenir un instrument d’exclusion. La phrase « Montréal appartient à tous les citoyens de paix » semble inclusive, mais elle impose en réalité une condition morale : seuls ceux qui partagent le discours dominant peuvent être considérés comme membres de la communauté. L’« autre intérieur » — le manifestant, l’étranger, celui qui refuse le consensus — est symboliquement expulsé du corps social. Ce geste d’exclusion n’est pas anodin : il constitue le terreau sur lequel le fascisme culturel peut prospérer sans dictature ni censure officielle.

Le fascisme contemporain n’a pas besoin d’imposer la violence ouverte ; il lui suffit d’installer un régime émotionnel fondé sur la peur et la méfiance. Il utilise le langage de la paix, de l’ordre, de la raison et du patriotisme pour neutraliser toute résistance. Au Québec, ce processus est aggravé par une histoire de nationalisme identitaire qui, bien que né d’une lutte légitime pour l’autodétermination, tend aujourd’hui à se transformer en logique d’homogénéisation culturelle.

Face à cette dérive, le défi consiste à redonner au civisme et à la paix leur véritable sens. La paix n’est pas le silence ni l’obéissance : c’est la justice. Et le civisme ne peut pas se réduire à la conformité ; il doit impliquer la responsabilité de questionner le pouvoir, d’ouvrir des espaces pour la dissidence et de reconnaître l’humanité de l’autre — surtout lorsque sa voix dérange.

Le fascisme au Québec n’a pas encore pris la forme d’un régime autoritaire, mais sa graine germe déjà dans le langage : dans cette forme aimable de censure déguisée en bon sens, dans cette paix qui n’existe que si personne ne proteste. Si ce discours n’est pas confronté par la pensée critique et la solidarité active, le nationalisme moral risque de devenir le visage souriant d’une exclusion de plus en plus profonde.

En définitive, le danger ne réside pas seulement dans ceux qui haïssent ouvertement, mais aussi dans ceux qui, d’un ton calme et un drapeau à la main, nous invitent à nous taire « pour le bien de tous ».

Texte attribué à Romain Gagnon:

"Le gouvernement israélien et même le Hamas ont accepté le cessez-le-feu. Même les pays arabes ont collaboré avec ce plan de paix…. Alors pourquoi ces manifestants continuent-ils à harceler les citoyens de Montréal ? Quel est leur but? Ces manifestations répétées, bruyantes, aux propos haineux et provocants n’ont plus rien à voir avec la paix. Elles ne servent qu’à importer la haine et la peur dans nos rues, et à intimider les Québécois juifs. Le Québec n’a pas à payer le prix pour l’antisémitisme de certains mouvements idéologiques. Ici, nous vivons dans un pays de droit, de respect et de coexistence. Nous disons non à l’intimidation, non à l’antisémitisme, non à la violence. Ce dimanche, rejoignez-nous nombreux pour montrer que Montréal appartient à tous les citoyens de paix. Venez avec vos drapeaux du Québec, vos pancartes pour la paix, vos voix calmes mais fermes. Nous sommes là pour dire : Oui à la paix, non à la haine. Oui à la dignité, non à la peur.»"